La comptabilité et l’audit du secteur public (CASP) des pays francophones subsahariens : Contexte, pratiques et implications pour l’initiative de professionnalisation en Afrique
Préparé en en collaboration avec l’Association africaine de comptabilité et de finance (AAFA), et réalisé par Dr Philippe Lassou (Université de Guelph) et Professeur Teerooven Soobaroyen (Université d’Essex), le présent rapport examine le cadre institutionnel, les structures/institutions nationales et l’infrastructure éducative relatifs aux pratiques de la comptabilité et de l’audit du secteur public (CASP) en vigueur dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne. Cela découle directement du mandat et des activités de l’Initiative de professionnalisation en Afrique (IPA) qui visent à accroître les capacités professionnelles en matière de CASP dans le secteur public en vue de renforcer les systèmes de gestion des valeurs publiques qui, à leur tour, s’attacheront à favoriser la création de valeur, la discipline fiscale, l’allocation efficace des ressources et la prestation efficace de services aux citoyens.
Bien qu’il y ait de nouvelles données probantes sur la pratique de la CASP dans les milieux anglophones africains, il y a très peu de renseignements documentés sur les milieux francophones compte tenu de la façon dont les systèmes institutionnels, législatifs et réglementaires ont tendance à se développer à partir des traditions et de l’influence françaises, même après l’indépendance. C’est dans cette optique que l’approche de renforcement des capacités de l’IPA cherche les moyens et stratégies visant à l’adapter aux contextes politiques, linguistiques et institutionnels pertinents. Entreprendre cette étude est donc une étape clé permettant d’aborder le contexte francophone.
En termes de caractéristiques clés, nous avons expliqué les différentes directives de l’UEMOA[1] et de la CEMAC[2] qui sous-tendent la CASP et comment ces directives sont adoptées dans les différents pays membres. Ce faisant, nous avons souligné les différents éléments du cadre de la CASP (code de transparence, lois budgétaires, règlement général sur la comptabilité publique, nomenclature budgétaire, plan comptable de l’État, tableau des opérations financières de l’État, comptabilité matière). Nous avons ensuite mis l’accent sur le rôle de différentes institutions, allant des institutions supranationales aux institutions nationales/locales dans le cadre de la mise en œuvre de ces directives. Par exemple, le Fonds monétaire international (FMI), par l’intermédiaire de son bureau régional AFRITAC[3] s’est beaucoup impliqué dans la rédaction de la version révisée en 2011 des Directives de la CEMAC. Nous avons également expliqué comment le ministère des finances, les parlements nationaux et la Cour des comptes, entre autres, sont engagés dans la transposition des directives dans les contextes nationaux et infranationaux, et les défis que cela représente. En outre, nous avons décrit en détail l’existence de groupes professionnels distincts (appelés Corps), chacun ayant des fonctions et des responsabilités très précises dans le contexte de la CASP. Un « Corps » est souvent reconnu structurellement par un décret officiel, et les exigences d’entrée à chaque niveau du Corps et de progression vers le niveau suivant sont prescrites dans les textes réglementaires. Il existe donc des lignes de démarcation claires entre ces différents Corps, ce qui remet quelque peu en question le concept même d’une profession comptable unique dans le secteur public.
Ces différences se reflètent largement dans le système éducatif et les programmes de formation. L’accès à ces professions se fait en grande partie par le biais d’un institut spécialisé appartenant à des ministères tels que le ministère des finances, la primature (par exemple, au Niger et au Togo) ou faisant partie d’un établissement universitaire (par exemple, au Bénin). Les diplômes pertinents délivrés par ces instituts sont définis dans les textes réglementaires et législatifs, mais la possibilité a été donnée aux titulaires de diplômes équivalents d’accéder à ces professions. Par exemple, l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) du Togo propose des programmes de troisième cycle, de premier cycle et de développement professionnel continu qui forment des comptables publics (trésoriers), des inspecteurs des impôts et des Contrôleurs/Inspecteurs. Les enseignants de ces programmes sont pour la plupart des praticiens du secteur public qui sont soutenus par un petit groupe d’universitaires. Bien qu’il existe certains éléments de preuve qui montrent que les programmes sont assez régulièrement mis à jour, dans d’autres cas, le contenu, la qualité des programmes et le profil des enseignants ont besoin de réformes et d’améliorations. Dans les quatre pays ayant fait l’objet de l’étude, la participation des institutions comptables du secteur privé (par exemple, les organisations professionnelles des comptables, communément appelées les OPC) est à peine perceptible en raison de la séparation entre la comptabilité du secteur public et celle du secteur privé. Néanmoins, certains des instituts spécialisés seraient désireux de collaborer avec l’IPA en termes d’intégration de matériel, de ressources et d’approches pédagogiques dans leurs programmes. Nous soutenons que la tentative d’intégrer les réformes de la CASP de la même façon que dans le contexte anglophone n’est pas limitée à un simple exercice de traduction linguistique ou de traitement de différences sémantiques. Par contre, les réformes doivent cibler ou avoir lieu au sein des groupements institutionnels et professionnels existants que nous avons décrit dans ce rapport.
Sur la base de ce qui précède, nous avons identifié des opportunités d’engagement avec de multiples organisations professionnelles et académiques en vue d’une intégration progressive du cadre et du matériel d’apprentissage de l’IPA dans les contextes de l’Afrique francophone. Cela peut se faire, par exemple, par le lancement de programmes d’études officiels et/ou en s’appuyant sur des programmes de formation continue. De telles étapes seront utiles car elles offriront des opportunités, du temps et de synergies permettant d’améliorer les résultats de la gestion des finances publiques, ce qui représente l’objectif ultime de l’IPA. Certes, il existe des risques en termes de volonté politique et/ou de disponibilité de ressources et des acteurs locaux pour initier des collaborations et soutenir des programmes de renforcement des capacités en matière de la CASP. En conclusion, bien que l’IPA et ses partenaires aient le mérite d’aborder un accord de collaboration au plus haut niveau (régional) (telle que l’UEMOA), nous sommes également conscients que le meilleur exemple ou la meilleure expérience et les meilleurs résultats viennent du terrain. Dans cette perspective l’API aura le mérite d’explorer et d’initier des collaborations sur le terrain y compris avec des établissements d’enseignement publics et privés dans les pays cibles afin de montrer ce qui pourrait être réalisé.
[1] L’Union économique et Monétaire Ouest Africaine.
[2] LaCommunauté Économique des États de l’Afrique Centrale.
[3] Centre régional d’assistance technique en Afrique.